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Cours complet – Les techniques de gouvernement – PDF

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Les techniques de gouvernement

Table des matières

De la loi à la norme Le biopouvoir

La société de contrôle

Le gouvernement est une technique comme une autre, qui évolue au même rythme que les découvertes scientifiques et technologiques.

Voici quelques analyses de cette évolution des technologies de pouvoir. De la loi à la norme

Au début, c’est-à-dire à l’âge classique (du XVIe au XVIIIe siècle), le pouvoir est conçu autour du paradigme moral et religieux : la punition vise à châtier le coupable : torture, exécution, travaux forcés, etc.

Au XIXe siècle apparaît un nouveau concept : celui de population. C’est-à-dire qu’on se rend soudain compte que l’homme est un être naturel comme un autre, régi par certaines lois que la nouvelle science de l’homme (économie, sociologie, linguistique, etc.) peut découvrir.

Par conséquent, la logique du gouvernement change du tout au tout : on passe de la loi à la norme : d’un jugement moral à une gestion technique d’un problème. Le coupable n’est plus mauvais, mais déviant : il ne représente plus le mal mais la maladie.  A la figure du prêtre et du policier se substituent celles du scientifique et du médecin. A la torture et à la peine de mort se substituent enfermement et guérison. Il s’agit de soigner le malade et de mettre la société à l’abri du risque qu’il représente.

Sécurité et biopouvoir

Plus généralement, un renversement s’opère : le pouvoir n’est plus ce qui menace de mort ou de torture, mais ce qui maintient les bons citoyens en vie, dans son giron, par une multitude de moyens (carte d’identité, sécurité sociale, impôts, etc.) qui sont aussi des moyens de contrôle.

Pour résumer, écrit Michel Foucault, on est passé d’un pouvoir qui « fait mourir ou laisse vivre » à un système qui « fait vivre ou laisse mourir ». C’est ce  nouveau  système, apparu dans les années 1950 et mettant fin au véritable libéralisme, que l’on a appelé l’Etat providence. Le modèle n’est plus le vieux patriarcat mais le matriarcat, le pouvoir prend la figure d’une infirmière. Ce qui réalise en un sens la prédiction du poète Louis Aragon : la femme est l’avenir de l’homme.

Finalement, avec le développement de la technique c’est le vieux concept de sécurité qui revient en force. Voyant une manifestation interdite, en 1977, pour raisons de sécurité, Foucault affirme que « désormais la sécurité est au-dessus des lois ». Ce constat est un peu plus vrai chaque jour. Les exemples abondent :

L’obligation de mettre la ceinture en voiture. Parce que la société nous protège (elle nous soigne en cas d’accident) et que cette protection est coûteuse, on nous interdit de

prendre des risques. Cas similaire : l’interdiction progressive de fumer.

La loi de rétention de sûreté : cette loi votée en France en 2008 stipule qu’un délinquant ayant purgé sa peine mais présentant toujours un danger au moment de sa libération pourra être maintenu enfermé. L’opinion publique accepte facilement ce  genre de loi, en se plaçant du point de vue de la victime. Mais si on admet de punir un individu du seul fait qu’il est dangereux, qu’il risque de commettre un délit, jusqu’où ira-t-on ? Récemment, suite à un meurtre commis par un malade mental, Sarkozy a proposé d’enfermer les malades mentaux. Mais les statistiques montrent qu’ils sont moins dangereux que les individus normaux ! En toute justice il faudrait donc enfermer tout le monde… Gasp !

Ici comme ailleurs liberté et sécurité s’opposent. Cette tendance sécuritaire est illustrée à merveille par le film de Steven Spielberg, Minority Report, dans lequel la police « précriminelle » anticipe les crimes et arrête les meurtriers quelques instants avant le passage à l’acte.

Dans les relations internationales. La sécurité permet de justifier de plus en plus un droit d’ingérence qui remet en question l’indépendance des Etats :

Ingérence humanitaire en Indonésie suite au Tsunami Ingérence humanitaire en Birmanie

Ceci est loin d’être insignifiant : accepter cet empire de la sécurité, c’est déjà  accepter un mode de gouvernement et un modèle de civilisation, celui de l’Occident. Désormais ce modèle s’impose sans hésiter, s’auto-justifiant par le besoin de sécurité.

Sécurité écologique. Avec l’émergence des problèmes écologiques il faut s’attendre à voir un décuplement de ces interdits supranationaux pour raison de sécurité. Puisque les nuages radioactifs ne s’arrêtent pas aux frontières, cela signifie que chaque pays a un droit de regard sur les autres dans la mesure où ils mettent sa sécurité en péril.

La généralisation de l’état d’exception à des fins sécuritaires, notamment contre le terrorisme (plan vigipirate, Patriot Act). Les philosophes politiques contemporains comme Giorgio Agamben voient dans l’état d’exception l’essence des nouvelles formes de pouvoir. Cela dit, ni le terrorisme ni l’écologie ne suffisent à expliquer la tendance, qui précède l’émergence de ces deux problèmes mondiaux. La véritable cause est dans le développement « naturel » de la technique et dans la tendance spontanée à la judiciarisation des sociétés modernes.

Prenons le cas de l’Italie, ou le gouvernement Berlusconi fait de plus en plus appel à l’armée pour assurer la sécurité dans les villes. Cette évolution inquiétante s’explique essentiellement pour des raisons économiques : plutôt que d’embaucher et de former davantage de policiers, il est économiquement plus rentable d’utiliser l’armée qui sans cela se contente d’exercices afin de rester prête à agir en cas de guerre.

Bref, les droits (à la vie, à la sécurité sociale, etc.), en se développant, finissent par s’opposer à la liberté. Nous sommes face à un système sécuritaire de plus en plus développé, donc de plus en plus coûteux, et qui pose par conséquent un problème de financement. A cela il y a deux solutions : payer plus ou protéger moins.

La première solution pourrait consister à remplacer les interdictions par des taxes, afin de faire payer les coûts de sécurité à ceux qui prennent des risques. Par exemple, taxer suffisamment le tabac pour que les fumeurs eux-mêmes financent le soins des cancers qu’ils causent. C’est le système libéral : chacun paie pour compenser ses nuisances ; pour les dégâts écologiques, c’est le principe « pollueur-payeur ».

L’autre solution serait de donner aux individus la liberté de prendre leurs

responsabilités, c’est-à-dire admettre de ne pas secourir ceux qui acceptent délibérément de prendre certains risques (ex : un alipiniste pourrait signer une décharge pour être autorisé à partir en montagne à ses risques et périls).

La société de contrôle

Enfin, cette évolution s’accompagne d’un développement des moyens de contrôle. On passe du gouvernement (qui signifie à l’origine le gouvernail, et exprime donc l’idée de diriger un bateau) à la cybernétique : gestion d’un système par l’information et le contrôle.

Plutôt qu’un long discours, une bonne image : le panoptique (étymologiquement : tout voir).

Le panoptique est une invention du philosophe utilitariste anglais Jeremy Bentham, qui a été utilisée pour la construction de très nombreuses prisons (cf. quelques exemples sur cet article de Wikipédia). Foucault analyse ce dispositif de contrôle dans un texte célèbre :

Le Panopticon de Bentham est la figure architecturale de cette composition. On en connaît le principe : à la périphérie un bâtiment en anneau ; au centre, une tour ; celle-  ci est percée de larges fenêtres qui ouvrent sur la face intérieure de l’anneau ; le bâtiment périphérique est divisé en cellules, dont chacune traverse toute l’épaisseur du bâtiment ; elles ont deux fenêtres, l’une vers l’intérieur, correspondant aux fenêtres de  la tour ; l’autre, donnant sur l’extérieur, permet à la lumière de traverser la cellule de part en part. Il suffit alors de placer un surveillant dans la tour centrale, et dans chaque cellule d’enfermer un fou, un malade, un condamné, un ouvrier ou un écolier. Par l’effet du contre-jour, on peut saisir de la tour, se découpant exactement sur la lumière, les petites silhouettes captives dans les cellules de la périphérie. Autant de cages, autant de petits théâtres, où chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et constamment visible. […] Chacun, à sa place, est bien enfermé dans une cellule d’où il est vu de face par le surveillant ; mais les murs latéraux l’empêchent d’entrer en contact avec ses compagnons. Il est vu, mais il ne voit pas ; objet d’une information, jamais sujet dans une communication. La disposition de sa chambre, en face de la tour centrale, lui impose une visibilité axiale ; mais les divisions de l’anneau, ces cellules bien séparées impliquent une invisibilité latérale. Et celle-ci est garantie de l’ordre. Si les détenus sont des condamnés, pas de danger qu’il y ait complot, tentative d’évasion collective, projet de nouveaux crimes pour l’avenir, mauvaises influences réciproques ; si ce sont des malades, pas de danger de contagion ; des fous, pas de risque de violences réciproques

; des enfants, pas de copiages, pas de bruit, pas de bavardage, pas de dissipation. Si ce sont des ouvriers, pas de rixes, pas de vols, pas de coalitions, pas de ces distractions qui retardent le travail, le rendent moins parfait ou provoquent les accidents. La foule, masse compacte, lieu d’échanges multiples, individualités qui se fondent, effet collectif, est abolie au profit d’une collection d’individualités séparées. Du point de vue du gardien, elle est remplacée par une multiplicité dénombrable et contrôlable ; du point  de vue des détenus, par une solitude séquestrée et regardée.

De là, l’effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l’actualité de son exercice ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l’exerce ; bref que les détenus soient pris dans une

situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs. Michel Foucault, Surveiller et punir

L’équivalent contemporain du panoptique, outre les prisons, se retrouve dans toutes les architectures similaires : lycées, usines, hôpitaux, etc.

De manière générale, l’architecture vise souvent à induire certains comportements ou à induire un rapport de pouvoir. Quelques exemples :

Les grands boulevards. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le baron Haussmann perce de grandes avenues à travers le dédale labyrinthique des ruelles parisiennes, ce qui vise à éviter les émeutes ou les révolutions : il est beaucoup plus difficile de dresser une barricade sur une grande avenue que dans une petite rue, et l’armée y circule plus facilement. Ce plan d’urbanisme vise également des effets hygiéniques : ici comme ailleurs préoccupations hygiéniques et pouvoir marchent main dans la main.

Les lampadaires eux-mêmes ont été introduits pour faciliter  le repérage  des individus louches, le soir, par la police. En ce sens ils sont l’ancêtre des caméras de surveillance.

Au-delà de l’architecture, de nombreux dispositifs visent à assurer un « fonctionnement automatique du pouvoir ». En particulier, la caméra de surveillance fonctionne exactement sur le principe du panoptique.

Big Brother is watching you…           

Le diable pouvoir est dans les détails : la disposition même des tables dans une salle de classe vise évidemment à induire certains comportements et un rapport de pouvoir.

Pensons également aux multiples manières de sonder la population, de prendre son pouls pour la contrôler au mieux : des sondages d’opinion au marketing, nous avons là le modèle des nouvelles techniques de gouvernement.

Remarquons toutefois que le développement technologique a également des effets démocratiques. De multiples processus permettent le développement de la participation des citoyens au pouvoir dans toutes ses dimensions  : création de l’information (Wikipédia, Indymédia, blogs et commentaires, émissions radio participatives, courrier des lecteurs publié par les journaux), discussion (débats et consultations par internet), prise de décision (référendum, vote) et action directe (web 2.0 notamment).

Plus précisément, les technologies de contrôle elles-mêmes peuvent se retourner contre le pouvoir. Ainsi la multiplication des caméras sur téléphones portables permet de plus en plus de dénoncer et sanctionner les abus de la part du pouvoir. Voici quelques exemples récents ci-dessous :

Le 1er janvier 2009, un noir américain, Oscar Grant, est abattu d’une balle dans le dos par la police. La scène a été filmée par des passants avec leurs téléphones portables :

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