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Le scepticisme

Table des matières

Arguments sceptiques

  • Les sens sont trompeurs
  • Tout change
  • Tout est différent

Contre-arguments

  • Les sens ne sont pas trompeurs
  • Identité et analogie

Qu’est-ce que le scepticisme ? Vous connaissez sans doute le mot « sceptique ». Rien à voir avec la fosse ! lol

Les sceptiques sont ceux qui doutent de tout. Ils ne croient en rien. Le pire, c’est qu’ils ont de bons arguments pour cela.

Remarquons toutefois ce premier paradoxe : ils ne sauraient prouver que tout est faux. Car alors ils auraient au moins cette certitude, celle de ne rien savoir ! 😉 Ainsi Socrate n’est pas sceptique, car il sait au moins une chose : « Tout ce que je sais, c’est que je  ne sais rien. »

Le véritable sceptique ne dit même pas qu’il ne sait rien. Il n’est même pas sûr de ne rien savoir !

Il devra plutôt dire, comme Montaigne : « Que sais-je ? »

Ce paradoxe étant vu, passons à la présentation des arguments sceptiques.

  1. Arguments sceptiques
  2. Les sens sont trompeurs

L’idée la plus simple est que notre connaissance nous vient des sens : je vois qu’il  pleut, donc je sais qu’il pleut.

Or, disent les sceptiques, les sens ne sont pas une garantie de vérité, car ils sont trompeurs.

  1. Tromperie

Par exemple, nous sommes souvent trompés : un bâton plongé dans l’eau semble cassé

; le soleil paraît gros comme une pièce de monnaie ; de nombreuses illusions d’optiques nous induisent en erreur.

Pour voir quelques exemples à ce sujet, cf. les illustrations sur la perception.

  • Interprétation

En fait, l’objet est construit par notre esprit à partir des sensations qu’il interprète. Par conséquent qu’est-ce qui nous prouve qu’il n’y a pas d’autres interprétations possibles, plus « vraies » que la nôtre ?

Tout au contraire le monde, pour nous, est redevenu infini, en ce sens que nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu’il renferme en lui une infinité d’interprétations. Nous sommes repris du grand frisson.

Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir, § 374

  • Sens manquant

Dans le même ordre d’idées, on peut supposer qu’il nous manque un sens. Les aveugles, par exemple, ne connaissent qu’une partie du monde que nous connaissons. Qu’est-ce qui nous prouve que nous ne sommes pas nous-mêmes aveugles, et qu’il n’existe pas des dimensions cachées du monde que nous ignorons ? C’est d’ailleurs ce que révèle la physique moderne, qui nous invite à concevoir un espace n’ayant pas 3 dimensions, mais 11 ou 26.

  • Hypothèse du rêve

De plus, nous rêvons parfois : c’est-à-dire que nous percevons alors qu’il n’y a aucun objet à percevoir.

Si nos sens nous trompent donc parfois, qu’est-ce qui nous prouve qu’ils ne nous trompent pas toujours ?

  • Subjectivité de la sensation

D’ailleurs, ils nous trompent toujours. En effet, chaque sensation résulte de l’interaction entre l’objet et le sujet, entre le monde et mon corps. Par exemple, le  soleil brille, il interagit avec mon œil, produisant une image mentale, et c’est cette image que je perçois. Cette image est donc produite par le soleil et par moi-même : une mouche ou un chien perçoivent le soleil d’une toute autre manière ! On peut même dire que cette perception en dit plus long sur moi-même, sur mon corps, que sur le soleil. Autrement dit, toute sensation est subjective.

  • Tout change

Deuxième grand argument : non seulement nos sens sont trompeurs, mais en plus le monde lui-même est inconnaissable, car il est  instable : tout est en flux perpétuel, «  tout coule ». Héraclite, un vieux poète et philosophe présocratique, est l’un des premiers à exprimer cette idée :

On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve. Héraclite, Fragments, § 91

Le soleil est chaque jour nouveau. Héraclite, Fragments, § 6

On la retrouve chez Montaigne :

Le monde n’est qu’une branloire pérenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Egypte : et du branle public, et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet : il va trouble et chancelant, d’une ivresse naturelle. Je le prens en ce point, comme il est, en l’instant que je m’amuse à lui. Je ne peinds pas l’être, je peins le passage : non un passage d’âge en autre, ou comme dit le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure.

Montaigne, Essais, III, 2

Comment, dès lors, connaître quoi que ce soit puisque rien ne dure ?

En toute rigueur c’est impossible : le principe logique le plus fondamental, le principe d’identité, qui pose que toute chose est identique à elle-même, est tout simplement  faux si nous tenons compte du changement perpétuel des choses. Autant dire que le temps pose un problème fondamental à la pensée, car celle-ci se place spontanément hors du temps.

  • Tout est différent

Dans le même ordre d’idée, les sceptiques avaient une conscience aiguë de la différence entre les choses. Il n’y a pas deux choses parfaitement identiques dans ce monde.

La ressemblance ne fait pas tant, un, comme la différence fait, autre. Nature s’est obligée à ne rien faire autre, qui ne fût dissemblable.

Montaigne, Essais, III, 13

La diversité est si ample, que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, éternuers… On distingue des fruits les raisins, et, entre eux tous, les muscats, et puis Condrieu, et puis Desargues, et puis cette ente. Est-ce tout ? en a-t- elle jamais produit deux grappes pareilles ? et une grappe a-t-elle deux grains pareils ? etc.

Pascal, Pensées, éd. Brunschvicg, § 114

Finalement Nietzsche, qui était un grand sceptique, résume tous ces doutes en quelques mots, avec quelques autres que nous n’avons pas évoqués :

Il y a beaucoup de ces articles de foi erronés qui, transmis par héritage, ont fini par devenir une sorte de fonds commun de l’espèce humaine, par exemple : qu’il existe des choses durables et identiques, qu’il existe des objets, des matières, des corps, qu’une chose est ce qu’elle paraître être, que notre volonté est libre, que ce qui est  bien pour les uns est bon en soi.

Nietzsche, Le Gai savoir, § 110

  1. Contre-arguments

Comment résoudre ces problèmes ? Voici quelques contre-arguments :

  1. Les sens ne sont pas trompeurs
    1. Tromperie

Certes, les sens sont parfois trompeurs, mais ce sont aussi eux qui nous permettent de corriger l’erreur. Etant la source à la fois de l’erreur et de la vérité, on ne peut les rejeter en bloc, et on doit malgré tout s’y fier. De plus nous n’avons rien d’autre à utiliser à la place !

  • L’interprétation

L’idée qu’il y aurait d’autres interprétations est peut-être la plus difficile à combattre. Mais nous pouvons déjà remarquer que les interprétations sont parfois limitées : par exemple, pour projeter une image en deux dimensions dans un espace en trois dimensions, on n’a que deux possibilités.

Ajoutons qu’entre plusieurs interprétations nous pouvons toujours choisir la plus

simple ou la plus utile. Il faut néanmoins admettre que cette solution ne nous prouve pas que la vérité n’est pas dans une autre interprétation, plus complexe. La porte de la découverte reste ouverte. Mais l’interprétation « plus simple » reste alors valable, au moins en première approximation, exactement de la même manière que la physique newtonienne reste valable avec une très bonne précision pour les phénomènes les plus courants, bien que l’interprétation d’Einstein soit en réalité plus proche de la « vérité ».

  • Sens manquant

Sur l’idée d’un sens manquant, je crois que nous avons un bon argument à opposer aux sceptiques. Certes, il pourrait nous manquer de nombreux sens. D’ailleurs nous savons bien que nous ne percevons pas toutes les ondes électromagnétiques, par exemple. Parmi elles nous ne percevons que celles qui ont une certaine longueur d’onde (les couleurs de l’arc-en-ciel). Nous ne percevons ni les infrarouges (comme les serpents)  ni les ultraviolets ni les ondes radio ni d’ailleurs les ultrasons (comme les chauves- souris). Mais précisément, nous connaissons pourtant toutes ces ondes ! Comment ? Grâce à la technique et aux instruments de mesure qui nous permettent de les détecter.

C’est-à-dire que tout ce qui interagit avec notre monde peut être détecté par « effet domino ». Si vraiment un phénomène existe, nous pouvons le percevoir par le biais de son interaction avec un phénomène connu, exactement comme un aveugle qui « voit le relief du sol » par l’intermédiaire de sa canne. De sorte que les seuls phénomènes auxquels nous n’avons pas accès sont ceux qui seraient dans un « monde parallèle », c’est-à-dire un monde qui n’interagirait absolument pas avec le nôtre.

  • Hypothèse du rêve

De plus, il y a une différence importante entre tromper parfois et tromper toujours. Cela a un sens précis de dire que les sens nous trompent à l’occasion : car on peut indiquer ce que serait, dans la situation donnée, la « bonne » sensation, la sensation juste. Mais quel sens y a-t-il à dire que nos sens nous trompent « toujours », par exemple que nous rêvons ou vivons dans la « matrice » ? Car alors nous n’avons aucun critère de comparaison et ne savons même pas dire ce que serait une « sensation juste

». En fait il n’y a pas de sensation juste car la seule « sensation juste » serait de se réveiller, c’est-à-dire de quitter cette vie.

Enfin et surtout, ce ne sont pas les sens qui nous trompent mais notre esprit. Un sens (l’œil, par exemple) est un pur mécanisme. Par conséquent il ne saurait mentir, car un mécanisme ne dit rien. Un marteau ne ment pas ; au pire, il est cassé. C’est de notre esprit que vient l’erreur, car il interprète mal les données des sens, comme dans le cas du mirage : mon œil me dit que tel rayon lumineux bleuté vient du sol, ce qui est vrai ; mais mon esprit en conclut qu’il y a là une oasis, ce qui est faux.

  • Subjectivité de la sensation

Enfin, concernant la subjectivité de la sensation : certes, ma sensation est subjective. Mais les rapports entre les sensations sont objectifs. Par exemple, si je perçois l’herbe verte, cette couleur est « subjective » : elle est créée par mon cerveau, et je ne peux  pas dire que cette couleur existe objectivement dans le monde extérieur.

Il se pourrait d’ailleurs que les autres perçoivent ce que tout le monde appelle le « vert

» de la même manière que je perçois ce que tout le monde appelle le « bleu »… Et il  n’y aurait aucun moyen de se rendre compte de cette inversion du spectre des  couleurs, à moins de rentrer dans la tête de l’autre pour « voir » ce qu’il perçoit ! 😉

Je ne peux donc pas dire que la sensation me révèle quelque chose d’objectif. Mais en revanche, les similarités et les différences entre mes sensations sont nécessairement objectives ! Par exemple, les différences de couleur que je perçois ne peuvent pas venir de mon esprit, qui reste le même : elles doivent venir des choses qui changent. Ainsi, si je perçois l’herbe et les feuilles en vert, et le ciel en bleu, cela ne veut pas dire que ces couleurs sont objectives, mais cela veut au moins dire que l’herbe et les feuilles ont une même propriété inconnue, que le ciel n’a pas.

Mathématisation : C’est une question de dérivée partielle. La sensation est fonction du sujet (s) et de l’objet (o), de sorte qu’on peut écrire :

Sensation = f (s, o)

Si on fait varier les objets sans faire varier le sujet, on obtient la dérivée partielle de f par rapport à o : les variations constatées doivent donc être imputées au facteur qui varie, à savoir l’objet, le monde extérieur. Les rapports sont donc objectifs.

Inversement, si on fait varier s (on demande à différentes personnes comment elles perçoivent un même objet), les différences devront être imputées aux sujets. Ce sont donc des différences subjectives. Bref, pour le dire en chinois :

?f (s, o) / ?o = objectif

?f (s, o) / ?s = subjectif

Ainsi donc, même si on « rêve », même si on est enfermé dans ses sensations, on peut tout de même avoir accès à la « chose en soi », à une connaissance objective, car les rapports entre nos sensations sont nécessairement objectifs.

C’est comme pour le taux de chômage : même si l’indicateur est complètement truqué par le gouvernement, ses variations traduisent des variations objectives – à condition que la méthodologie de calcul du taux ne change pas sur la période, évidemment.

  • Identité et analogie

Venons-en à l’idée du changement. Là encore nous avons plusieurs arguments à opposer aux sceptiques.

D’abord, nous nous baignons bien toujours dans le même « fleuve ». Il est vrai que le fleuve est un flux perpétuel, mais ce que nous appelons « fleuve » n’est pas un être précis mais un phénomène, un ensemble mouvant et fluctuant.

De même nous pouvons bien appeler un chat un chat, bien qu’il n’y ait pas deux chats identiques : car même s’ils ne sont pas identiques les chats sont suffisamment analogues et se distinguent assez bien des chiens et des autres animaux pour pouvoir être regroupés dans la même espèce et appelés d’un même nom. C’est tout ce qu’il nous faut pour pouvoir utiliser un mot. Utiliser un concept ne suppose pas l’identité mais seulement l’analogie.

Ajoutons que les lois du mouvement (découvertes seulement à partir de la fin du XVIe siècle par Galilée) nous permettent de dépasser cet objection, car nous voyons que le

flux n’est pas un chaos : il obéit à une loi. D’ailleurs Héraclite lui-même semblait reconnaître cela :

Ce monde-ci, le même pour tous les êtres, aucun des dieux ni des hommes ne l’a créé ; mais il a toujours été, il est et il sera un feu toujours vivant, s’allumant avec mesure et s’éteignant avec mesure.

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