Cours Philosophie – La religion – Télécharger

Cours Philosophie – La religion – Télécharger – La question de la religion, en philosophie, c’est avant tout la question de la vérité, et la question du rapport entre la croyance et la raison.

Voici quelques questions typiques que l’on peut se poser :

La science est-elle l’ennemie de la religion ? La foi s’oppose-t-elle à la raison ?

D’où vient la force des religions ? Pourquoi le progrès scientifique n’a-t-il pas fait disparaître les religions ? Ici on peut aussi s’interroger sur les mythes et illusions contemporaines : rumeurs, superstitions, légendes urbaines, etc.

Peut-on ne croire en rien ? Faut-il tout soumettre à la raison ?

La science est-elle l’ennemie de la religion ? Des conflits indéniables

Commençons donc par cette question. A priori, oui, il y a une guerre, parfois violente, entre science et religion. Que l’on songe par exemple à l’Inquisition, au philosophe italien Giordano Bruno qui a été brûlé sur le bûcher à Rome, en 1600, par les pouvoirs religieux, pour avoir dit que l’univers était infini. Ou encore à Galilée à qui l’Eglise a intenté un procès pour avoir défendu la doctrine de l’héliocentrisme (c’est la Terre qui tourne autour du Soleil et non la Terre qui est au centre du monde) découverte par Copernic quelques décennies plus tôt (en 1543). Galilée a dû se rétracter, de peur de subir le même sort que Bruno. Il a finalement été réhabilité par l’Eglise… en 1992 !  Waw

Mais ces conflits ne sont pas limités au Moyen Age : aujourd’hui des luttes intenses ont lieu, par exemple aux Etats-Unis entre créationnistes (qui pensent que Dieu a créé le monde et l’homme) et évolutionnistes (qui pensent que l’homme est le fruit d’une évolution naturelle et qu’il descend du singe, selon la théorie de Darwin).

A partir de cela, de nombreux philosophes ont pu critiquer la religion :

Karl Marx considère que la religion est « l’opium du peuple », c’est-à-dire comme une drogue qui lui fait oublier ses soucis et le soulage, mais ne l’aide pas à résoudre ses problèmes (son exploitation économique), et bien au contraire l’affaiblit et le pousse à se soumettre (elle justifie le travail comme expiation du péché originel ; elle justifie la hiérarchie sociale, la monarchie de droit divin, et prône la soumission en général : « Rendez à César ce qui est à César »).

Friedrich Nietzsche voit dans la religion (chrétienne notamment) la négation de la vie : car cette religion, dans le droit fil de l’idéalisme platonicien, renie le corps et réprime tous les désirs et plaisirs charnels, qu’elle considère comme des « péchés » : gourmandise, sexualité, etc.

Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse, considère que la religion est une névrose, une forme de paranoïa : elle consiste à déformer les aspects insupportables du monde (solitude de l’homme, mort certaine, etc.) pour rendre celui-ci supportable. La religion serait une manière de réaliser nos désirs d’enfants. Dieu serait un père imaginaire et idéalisé pour consoler l’homme de sa solitude. Bref, la religion serait une

illusion, au sens strict de Freud : c’est-à-dire non pas une erreur (l’illusion n’est pas nécessairement fausse), mais une croyance qui procède d’un désir : on ne croit pas en Dieu parce que cela semble vrai, on y croit parce qu’on aimerait qu’il existe…

Enfin, Bertrand Russell, philosophe et logicien anglais du XXe siècle, a donné une critique décisive de la religion en soulignant son opposition à la science, le mal qu’elle fait à la vérité et aux hommes : on ne compte évidemment plus le nombre de guerres menées au nom de la religion.

Pour ajouter un philosophe contemporain à cette liste, on pourrait mentionner Michel Onfray, qui poursuit cette tradition philosophique d’une critique radicale de la religion.

Ces conflits entre science et religion montrent aussi que le savoir est un système de pouvoir…

Bref, dans la mesure où science et religion prétendent toutes deux nous révéler  la vérité sur le monde, elles sont nécessairement en position de rivalité. L’opposition est d’autant plus certaine que leurs méthodes ne sont pas les mêmes : la science procède par expérience et démonstration logique, alors que la religion se contente de la révélation divine matérialisée dans l’Ecriture…

Mais cette différence dans les approches et les méthodes est peut-être le moyen de (ré) concilier science et religion…

Une conciliation possible ?

Mais on peut tenter de concilier la science et la religion, la foi et la raison. En effet, ces deux types de discours ont-ils le même but, la même fonction ?

Si on laisse de côté la prétention de la religion à dire la vérité sur le monde, on peut soutenir que non : la science ne nous dit jamais comment vivre, elle ne répond pas à la question « Que faire ? ». Elle est descriptive et non prescriptive, autrement dit elle n’est pas normative : elle ne nous dit pas ce qu’il faut faire. Elle ne dit pas comment devrait être le monde, elle se contente de dire comment il est. Bref, elle n’est pas éthique ni pratique, elle est théorique.

On trouve chez Spinoza cette idée d’une dissociation radicale entre la foi et la raison : la seule fonction de la foi, explique-t-il, est de nous faire obéir. La Bible, par exemple, ne vise qu’à cet objectif unique : nous faire suivre la loi morale, c’est-à-dire nous faire aimer notre prochain. Autrement dit, les pouvoirs devraient laisser les scientifiques tranquilles, parce que les progrès scientifiques n’empêchent nullement d’obéir à la loi morale. (Le but de Spinoza est ici de défendre la liberté de pensée et d’expression du philosophe et du scientifique contre la persécution des autorités religieuses.)

Mais on peut critiquer cette dissociation radicale entre pratique et théorie : toute conception du monde induit des normes, et réciproquement toute éthique doit s’appuyer sur une certaine représentation de la réalité. Pas d’éthique sans ontologie, pas d’ontologie sans éthique. Ainsi la science, bien qu’elle s’en défende, est en quelque sorte indirectement normative : en nous expliquant comment fonctionne le monde elle nous dit comment faire pour être heureux.

Une autre manière de dire que religion et science ne s’opposent pas serait de montrer que même au plan théorique on peut les concilier. C’est la grande idée de Pascal et de Kant : notre raison est limitée, par conséquent il reste une place pour la foi. Sur toutes les questions auxquelles la science ne peut répondre, c’est-à-dire les questions métaphysiques, dont les dogmes religieux font partie, nous pouvons croire ce que bon nous semble, ce qui nous aidera le mieux à vivre ou ce qui nous élèvera, nous rendra meilleurs…

Deux types d’intuition

Voici maintenant une analyse un peu plus développée de ce dernier argument, avec une critique importante.

On entend parfois l’argument suivant : « Tous les plus grands philosophes ont reconnu que la raison scientifique a des limites, et qu’en réalité elle dépend entièrement de l’intuition. Par conséquent la conception religieuse du monde est tout aussi défendable que la conception matérialiste. »

C’est d’ailleurs l’argument de Blaise Pascal : l’homme, pris entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, est toujours infiniment loin de la connaissance absolue ; de plus, notre raison est limitée car les premiers principes ne peuvent pas être démontrés. Par conséquent, il faut faire appel à ce que Pascal appelle le « cœur » :

Blaise Pascal

267. – La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n’est que faible, si elle ne va jusqu’à reconnaître cela.

270. – Il est donc juste qu’elle se soumette, quand elle juge qu’elle doit se soumettre.

272. – Il n’y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison.

274. – Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment.

277. – Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses. Blaise Pascal, Pensées

Et pourtant, il y a là une grave confusion. Certes, il est rigoureusement impossible de démontrer les principes qui sont au fondement de toute démonstration. Pour cette raison on peut parler d’une « intuition » qui se trouve au fondement de toute pensée et donc de toute science. Pascal disait ainsi que les premiers principes nous sont connus, non par la raison, mais par le « cœur », le sentiment. Et c’est là qu’il y a un glissement pernicieux : on passe subrepticement de l’intuition intellectuelle (qui consiste, comme disait Descartes, en la claire conception d’un esprit qui analyse sont objet) à l’intuition au sens de l’intuition féminine, du sentiment, du sixième sens ou que sais-je encore.

Soyons plus précis : l’intuition intellectuelle peut désigner au moins deux choses : L’intuition logique : il s’agit de notre compréhension intuitive des principes logiques,

du type « A = A » ou « on ne peut pas dire une chose et son contraire ». Ce sont ces principes (ici le principe d’identité et le principe de contradiction) qui sont au fondement de toute démonstration, et sont par conséquent indémontrables.

L’intuition empirique : il s’agit tout simplement de la perception, ou d’un concept qui en résulte comme celui de l’espace ou du temps. Ainsi les axiomes de la géométrie sont connus par intuition.

Il est très clair que ces deux concepts n’ont rien à voir avec les intuitions « féminines » ou « religieuses ». Et par conséquent c’est un véritable acte de terrorisme intellectuel que de glisser d’un concept à l’autre. Ce qui reste vrai, et que l’on peut concéder à Pascal et à Kant, c’est que dans les domaines où la raison et la science sont impuissantes à nous découvrir la vérité, nous pouvons fort bien décider de croire l’hypothèse qui nous plaît le plus, celle qui nous aide à vivre ou celle qui nous rend meilleurs. Mais en cherchant le Bien on risque de ne pas trouver le Vrai.

Et surtout, et c’est là le point essentiel, la compréhension rigoureuse du concept d’intuition nous montre qu’en réalité la raison n’est pas limitée : car elle inclut aussi bien l’intuition que la déduction. Il n’y a pas de différence radicale entre les questions physiques et les questions métaphysiques. Au mieux il y a une différence de degré. Toutes les questions théoriques sont du même ordre. De sorte que finalement, contrairement à un préjugé tenace, la science répond à la question de l’existence de Dieu (pour autant que cette question puisse être posée !) aussi bien qu’à n’importe quelle autre question, c’est-à-dire sans nous donner de certitude, mais en nous proposant une hypothèse plus ou moins solide (c’est-à-dire plus ou moins fondamentale dans l’édifice théorique, dans la conception du monde) qui s’insère dans une représentation cohérente des phénomènes. En l’occurrence, la science dirait volontiers, comme Laplace disait à Napoléon, que Dieu est une hypothèse dont nous pouvons nous passer. Une chose est donc sûre : cette hypothèse-là ne répond pas à un besoin théorique.

Peut-on ne croire en rien ?

Ici je ne donnerai qu’une ébauche de réflexion.

D’une part, il faut penser aux diverses formes de croyances, y compris les plus naturelles et habituelles qui nous permettent de vivre chaque jour. En ce sens on est obligé de croire en quelque chose, le sceptique (celui qui douterait de tout) n’existe pas. Supposons qu’il existe : jetez-lui un caillou à la figure ; s’il l’esquive, c’est qu’il croit que ce caillou existe, et qu’il risque de lui faire mal, etc. : ce n’est donc pas véritablement un sceptique. Et s’il ne l’évite pas, il n’y a plus de sceptique ! (Inutile de réaliser cette expérience, bien entendu : l’expérience de pensée nous suffira !)

Ici la difficulté sera de savoir si on à affaire à de véritables croyances ou à de simples habitudes ou comportements…

D’autre part, on peut s’interroger sur la nécessité des croyances religieuses qui nous aident à vivre, nous donnent espoir. Elles sont peut-être nécessaires pour certains d’entre nous (peut-être ceux qui ont été habitués à ces croyances par leur éducation). Mais pour d’autres, la confiance en soi et l’optimisme sont probablement suffisants. Reste à savoir si ce sont là des croyances ou de simples sentiments ou attitudes existentielles…

Une autre question à se poser est celle des rumeurs et légendes urbaines, ainsi que la question de la superstition : pourquoi toutes ces croyances irrationnelles, même à l’époque de la science ? Pourquoi ces sectes qui prédisent régulièrement la fin du monde, ou, plus généralement, le mythe du « bug de l’an 2000 » par exemple ? Il y a peut-être en l’homme un goût pour le mystère, l’occulte, le surnaturel, et les idées qui vont à l’encontre des opinions dominantes. Il y a aussi, évidemment, des idées qui nous

plaisent, que ce soit l’idée de paradis ou les petites histoires visant à critiquer les Etats- Unis (si nous sommes anti-américains, ce que je ne nous souhaite pas !). Les philosophes, quant à eux, ont tendance à expliquer la superstition par la conjonction de la crainte et de la bêtise…

Conclusion

Cet embryon de cours reste très incomplet… Pour conclure provisoirement je tiens à souligner l’opposition fondamentale entre l’esprit religieux et l’esprit philosophique : ce sont véritablement des attitudes intellectuelles opposées. D’une part le doute absolu et rigoureux, d’autre part l’acte de foi. Aussi, même si philosophes et religieux se rejoignent parfois, c’est par des chemins sensiblement différents.

La seule manière de nuancer ce point de vue serait de montrer qu’il y a aussi, dans la philosophie et la science, une part de croyance, la croyance paradoxale en la raison, l’idée que le monde est compréhensible et explicable. Voilà la foi du philosophe : il a la foi en la raison. On peut parler d’idéal régulateur, selon la formule de Kant, pour désigner ces présupposés qui sont comme à l’horizon de certains types de discours. Ainsi le philosophe doit supposer que la vérité existe (quelque part, à l’horizon) et qu’elle est accessible, même si nous ne l’avons pas encore atteinte, et même si nous ne l’atteindrons jamais. Sans cela la réflexion et la discussion philosophiques sont impossibles et n’ont pas de sens.

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